Ce week-End, nous avions envie de
changer d’atmosphère, de laisser la ville d’Alep à ses klaxons, travaux,
vendeurs ambulants et autres camions assourdissants pour prendre une bouffée
d’air frais sur les rives de l’Euphrate. Chantal, une coopérante DCC kiné dans
un centre d’handicapés, dont nous vous avons déjà parlé, est justement en
mission à Raqqa, ex-petite ville provinciale et somnolente, qui depuis 5 ans
subit un exode rural exponentiel !
Départ
donc samedi midi, avec Bertrand, depuis la gare de bus « Garage
Hanano ». Prix du ticket de bus : 90LS, soit 1euro 30, pour faire 180km
en un peu plus de 2h. Dans le bus, comme à l’accoutumée, on nous distribue
verres d’eau et bonbon, pour faire passer le magnifique film égyptien, sûrement
primé au festival du film béotien d’Alexandrie. A Raqqa, nous retrouvons
Olivier, Virginie et leur petit Augustin, coopérants DCC à Al Harde, ainsi que
Stéphane, « apprenti moine » ;) DCC à Mar Moussa (chargé
des projets agricoles).
La colloc’ de Chantal, Majda,
nous attendait, avec 2 énormes plats –dont je compléterai le nom lorsque je
m’en rappellerai- composés de poulet, riz aux épices, amandes, piments, raisins
sec… dont notre appétit gargantuesque à 15h30 n’a pas entamé plus de la moitié.
(En Syrie, si l’invité arrive à finir le plat, c’est que l’hôte ne l’estime pas
assez, en l’occurrence, on peut penser Majda nous estime énormément !!)
A la fin de ce repas - vers 18H –
nous partîmes vers l’hôtel ( Lazaward Hotel, 00963 22 21 61 20 pour ceux qui
veulent y séjourner, pour 1200 LS les chambres sont propres et silencieuses, et
c’est l’un des rares hôtels de Raqqa) , pour prendre possession de nos chambres
et y poser nos affaires. Là, nous retrouvions Simon et Thomas, copains d’Alep,
enchantés de venir faire une virée à Raqqa entre français. Après une promenade
nocturne dans Raqqa et la visite du centre de kinés pour handicapés moteur qui
reçoit principalement des IMC, nous retournions à l’hôtel pour y visiter son
restaurant, ma foi fort sympathique.
Après une bonne nuit reposante
sans clocher maronite ni klaxons, ni travaux, nous sommes partis à 9h bien
tassées pour visiter la région : Résafé et le lac Assad.
Résafé n’est pas une ville morte,
comme on en trouve sur le massif calcaire Aleppin. Faite de gypse (roche
blanche translucide à l’éclat gras, composée de Sulfate de Calcium, Ca SO4, 2
H20, elle se forme naturellement par évaporation des mers, et on en forme artificiellement en mélangeant
de la chaux avec des fumées pour les désulfurer –et oui, on reste ingénieurs de
l’école des mines qd même) et d’argile, les vestiges de cette immense ville
fortifiée (400 x 500 m) aux portes du désert sont vraiment magnifiques.
On dit que Résafé pourrait être
la Réçeph de la Bible (2 rois, 19 ;11-12 « Tu as appris ce que les rois d’Assyrie ont fait à tous les pays, les vouant
à l’anathème, et toi, tu serais délivré ! Les ont-ils délivrés, les dieux
des nations que mes pères ont dévastées, Gozân, Harân, Réçeph et les Edénites
qui étaient à Tell Basar ? » et Isaïe 37 ;12).
Au cours du IIIe siècle
après J.C., l’empereur romain Dioclétien fait bâtir une ville fortifiée, pour
les caravanes, sur l’ancienne route commerciale qui relie Damas à l’Euphrate
(via Dmeir et Palmyre). Après la prise de Doura-Europos par les perses
sassanides en 256, Résafé est la nouvelle frontière entre l’ouest romain et
l’est sassanide. La ville devient célèbre en 305, après le martyre de Serge,
soldat romain convertit au christianisme et exécuté pour avoir refusé de
sacrifier à Jupiter. Après la reconnaissance officielle du christianisme par
Milan en 313, Serge est vénéré comme un saint et sa tombe attire de nombreux pèlerins.
Sa renommée est si grande à la fin du IVe siècle que la ville est
rebaptisée Sergiopolis. On construit
de nouveaux remparts, ainsi qu’une basilique et d’immenses citernes destinées à
approvisionner en eau 6000 hommes pendant un an ! Sous le règne de
Justinien (527-565) la cité atteint l’apogée de sa prospérité. L’empereur y
fait remplacer les murailles de terre par des murailles de pierre, et lance un
vaste programme de construction à l’intérieur de la ville, afin de luter contre
la menace Sassanide.
En 616, la ville est mise à sac
par les Perses sassanides conduits par Khosrö II. Au VIIIe siècle,
après la conquête de la Syrie par les musulmans arabes, le calife omeyyade
Hisam restaure en grande partie la ville et y fait construire un palais. Mais
Abbas, fondateur de la dynastie abbasside en 750, le détruit entièrement.
Malgré un ter
rible séisme vers la fin du VIIIe siècle, la ville
n’est pas dépeuplée mais a perdu sa prospérité d’antan. Il semble qu’une petite
communauté chrétienne ait coexisté avec les musulmans jusqu’au XIIe
siècle, époque à laquelle sa population a considérablement diminué. Après les
invasions mongoles, Résafé se vide de ses habitants. Au cours des siècles
suivants, les sables du désert reprennent leur place et protégèrent ainsi
jusqu’à notre époque ce qui reste de l’antique cité.
Après avoir déambulé dans les
ruines, être descendu dans les citernes cathédrales et exploré chaque grain de
sable, nous rejoignîmes notre chauffeur, pour aller pique-niquer sur les bords
du lac Assad, dans le Qalaat Jaber.
Les travaux de construction du
barrage sur l’Euphrate commencèrent en 1963 et finirent dix ans plus tard. Le
barrage est une prouesse technique : 4500m de long, 500m de large, 41
millions de m3 de sable et de graviers… le lac Assad, créé par ce
barrage, mesure environ 80km delong, 8 en moyenne de large et possède un
capacité en eau de 11,9 milliards de m3 ! Il a été construit
pour répondre aux besoins croissant en électricité de la Syrie, permettre
d’irriguer de vastes parties du désert et de les cultiver et de réguler le
débit de l’Euphrate pour empêcher les inondations. 8 énormes turbines et
déversoirs devaient produire 1,1 MWh à plein rendement, et les eaux
d’irrigation devaient transformer 640 000 ha de désert en terres
cultivables. Hélas, la construction de barrages turcs sur l’Euphrate en amont
de celui-ci a quelque peu diminué le débit de l’Euphrate et donc le rendement
de la centrale hydroélectrique, et l’irrigation intensive de parcelles de
désert après avoir donné de magnifiques prés d’herbe verte, a provoqué en de nombreux endroits
d’importantes remontées de sel qui ont rendu les terres stériles et incultivables
pour de nombreux siècles.
Le Qaalat Jaber est un château du
moyen-age musulman. Avant la création du lac, le château défendait un important
point de traversé de l’Euphrate. Occupé successivement par la tribu locale Beni
Noumeir et le sultan seldjoukide Malik Shah en 1087, il est pris par les
croisés au début du XIIe siècle et passe sous le contrôle du comte
d’Edesse. En 1149, il est repris par Nour-el-Dine qui entreprend d’importants
traveaux de reconstruction. Il passe aux mains des Ayyoubides jusqu’aux
invasions mongoles du XIIe siècle, puis il est abandonné. Ses murs ont subit
une récente restauration anachronique, L’intérieur du château est un amas de ruines, et un grand minaret en
briques (de style mésopotamien) est l’unique vestige de la mosquée qui occupait
ce lieu.
Cela ne nous a pas empêcher de
trouver un petit point de vue agréable sur le lac, pour déguster, en bons
français, un repas composé essentiellement de foie gras (merci Stéphane),
arrosé d’un ptit vin apprécié par le jeune Augustin J
, et terminé par l’excellent gâteau de notre amie Chantal. De retour à Raqqa,
en visitant la porte de Baghad, seul lieu historique de la ville, nous avons pu
comprendre ce que subissait Chantal quotidiennement dans cette ville peu
touristique de campagne : des étudiants sont arrivés par dizaine et nous
regardaient comme des bêtes curieuses : le touriste blanc est une denrée
rare dans cette contrée !
Après une petite messe grecque
catholique (Deux églises dans la ville, pour 250 000 habitants, nous sommes
ici en terre musulmanes) ou les femmes mettaient un voile en dentelle blanc ou
noir sur les cheveux pour aller communier, retour en bus E.T. sur Alep,
compagnie avec laquelle nous avons droit, pour la somme modique de 90 LS, à des
bonbons et à une petite bouteille d’eau minérale.
Un grand bravo si vous avez lu
tout le message jusqu’ici, nous avons donné des informations culturelles et
pratiques pour faciliter la venue en Syrie des globes-troteurs. En effet, la
saison touristique débute en ce moment, jusqu’à juin, le temps sera clément et
les températures idéales pour visiter le pays.
Un long message à taper, avec le
bruit des travaux dans les oreilles, (nan, pas encore fini).
A bientôt !
(Source des informations
historiques : Guide Footprint Syrie-Liban)